L'installation Construire la pluie, présentée au centre d'artistes Langage PLus, à Alma, en 2016.
Fortin, Jocelyne. « Réinventer la pluie goutte à goutte ». Texte  accompagnant l’exposition, Langage plus, Alma, 2016
Réinventer la pluie goutte à goutte
L’histoire de l’humanité est influencée par les phénomènes naturels depuis le début de son origine. D’ailleurs, le développement des civilisations est encore aujourd’hui influencé par la température, puisqu’elle participe à la fois à l’alimentation des êtres vivants, aux conditions de survie et à l’apparence esthétique des paysages. Chanter sous diverses versions, danser pour en attirer les manifestations, réciter en poésie ou scander en jurons, la pluie a toujours fait parler d’elle peu importe ses formes fluides, vaporeuses, glacées ou neigeuses.
L’artiste Camille Bernard-Gravel s’y est intéressée tout particulièrement dans son installation Construire la pluie où elle met en scène une version inusitée du phénomène, par des alignements de verres en styromousses où des gouttelettes tombent doucement. Si la composition de l’œuvre semble simple à priori, elle n’en demeure pas moins complexe dans son organisation, puisque chaque pipette contrôle le débit laissant s’échapper les gouttes d’eau, de manière à créer une harmonie sensitive et sonore. La disposition des gobelets à la verticale sur des supports de cuivre permet à un micro de capter le son ambiant de la salle, dont celui du parcours des gouttes. Grâce à la technologie numérique, ces sons sont ajoutés à ceux d’une curieuse machine froissant un sac de plastique par des mouvements rotatifs lents. Les deux captations sonores sont jumelées numériquement, afin de créer une ambiance de pluie complètement fabriquée par l’artiste. Par les casques d’écoute, le public peut entendre en direct les sons captés par les deux enregistreurs qui retransmettent précisément cette pluie artificielle, telle une invitation à se laisser immerger par elle.
Sans chercher à la dissimuler, la technologie devient ici essentielle à l’œuvre, puisqu’elle contrôle non seulement la matière, elle la transforme et amplifie son pouvoir évocateur. Mise au service de la création artistique, les « machines » permettent de rendre l’art vivant et interactif. Cette installation démontre bien que l’utilisation d’une technologie simple, comprenant un système de rediffusion du son, servo-moteurs, arduino, enregistreurs et ordinateur, peut s’ajouter à la qualité esthétique de l’œuvre afin d’en augmenter son aspect poétique et sensitif.
Il est certain qu’en utilisant les technologies de pointe et les machines servant à d’autres fonctions, telle que la robotique, les artistes défrichent un nouveau champ d’exploration entre art et technologie. Par une recherche autour d’œuvres en mouvement, Camille Bernard-Gravel  expérimente divers matériaux réinterprétant les formes, sons et mouvements des phénomènes naturels aquatiques et aériens.
Par sa présentation à Alma, l’installation Construire la pluie rappellera à certains le scandale des fameuses machines à pluie[1], installées au Saguenay–Lac-Saint-Jean dans les années 60. Comme nous le rappelle Camille Bernard-Gravel, l’eau demeure encore aujourd’hui un enjeu crucial, puisqu’elle est essentielle à toute vie. Sa sonorité invitera à vous pauser, le temps de vous imprégner d’elle et de retrouver la quiétude.

[1] Claude Bérubé, L'incroyable histoire des machines à pluie, film, 52 min 23 sec, production de la Chasse-Galerie et de l’ONF, 2007.